Le MR-63
Un modèle âgé mais encore très utile
Depuis la mise en service du métro de Montréal, le 14 octobre 1966, les trains de modèle MR-63 parcourent sans relâche les voies souterraines et rendent encore de fiers services aux usagers. Malgré leur âge respectable, ces trains ont une étonnante fiabilité. Relégués à la ligne 1 – Verte lors de l'arrivée des trains MR-73, plus récents, on les voit depuis peu sur la ligne 4 – Jaune et en de rares occasions sur la ligne 2 – Orange.
Les spécifications
Avant même que les premiers explosifs n'entament le roc du sous-sol montréalais pour faire place au métro, le maire Jean Drapeau, en visite à Paris, est séduit par les rames roulant sur pneumatiques de la ligne 11. Ces rames sont alors plus silencieuses que les trains roulant sur des roues d'acier, utilisés dans la majorité des autres réseaux de métro, et ont un gabarit étroit (2.5 mètres). Ce gabarit permet de réaliser des économies, car on peut creuser un seul tunnel pour faire passer les deux voies, contrairement aux larges rames typiquement américaines (plus de 3 mètres), qui demandent un tunnel par direction.
Dans cette optique, la ville de Montréal s'associe avec la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) afin de bénéficier de l'expertise française dans le domaine des métros sur pneumatiques. En effet, cette technologie n'est pas très répandue et toute l'aide disponible des ingénieurs français est la bienvenue.
Pendant que les ouvriers dynamitent les premiers mètres du solide roc montréalais, les ingénieurs de la RATP travaillent sur l'aspect technique du métro, de la signalisation en tunnel à l'alimentation électrique et à la conception du matériel roulant.
Conscients de la rigueur des hivers québécois et négligeant la grande profondeur des stations et la chaleur dégagée par les équipements et les usagers, les ingénieurs français dotent les voitures d'appareils de chauffage et installent un système de ventilation rudimentaire pour épurer l'air.
En 1963, on transmet les spécifications des futures rames de métro à la firme Canadian Vickers, qui a remporté l'appel d'offres. Son mandat est de construire 336 wagons de métro, à raison de 224 voitures motrices et de 112 remorques, qui seront utilisés sur les trois lignes du réseau initial. Le numéro de modèle de ces voitures, MR-63, provient donc de l'année de conception et non de l'année de livraison, car les premières voitures ont été livrées en 1965.

La motorisation
Les motrices MR-63 sont pourvues de quatre moteurs électriques à courant continu de type série de marque Tamper qui développent chacun une puissance nominale de 108 kW (144 HP).
Alors que les barres de guidage des voies du métro distribuent le courant de traction à une tension de 750 volts, les moteurs des MR-63 sont quant à eux conçus pour fonctionner à une tension de 360 volts. Ainsi, les deux moteurs de chaque bogie sont reliés en série entre-eux et le groupe-moteur du bogie peut ainsi être alimenté nominalement à 720 volts. Il est à noter que la «surtension» de 30 volts imposée par les barres de guidage n'est pas un problème : les limites opérationnelles de ces moteurs permettent de les alimenter à une tension qui varie de 430 à 900 volts.
Comme ces moteurs sont conçus pour tourner à plus de 3000 tours par minute, un système d'engrenages réducteur est installé entre le moteur et les roues. Cet engrenage sert aussi de différentiel afin de permettre aux roues intérieures et extérieures de tourner à une vitesse légèrement différente l'une de l'autre dans les courbes.

Le commutateur RX, pour un démarrage tout en douceur
Au démarrage, un moteur électrique consomme jusqu'à sept fois son courant nominal. Ainsi, un train MR-63 complet de neuf voitures, qui consomme jusqu'à 1 700 ampères à pleine vitesse, imposerait une charge soudaine de près de 12 000 ampères au système de distribution électrique si on se contentait de relier soudainement les moteurs aux barres de guidage. Par ailleurs, le couple, ou la force rotative, développé par les moteurs s'ils étaient ainsi cavalièrement démarrés provoquerait une brusque accélération vers l'avant et les passagers seraient sérieusement incommodés, voire renversés.
Pour démarrer les moteurs en douceur, les concepteurs des MR-63 ont retenu une solution électromécanique, le commutateur RX. Aussi appelé combinateur à cames, ce système est constitué d'un interrupteur rotatif à 26 positions actionné par un petit moteur électrique à basse tension et de résistances de puissance.

À l'arrêt complet, le commutateur est à la position 0 et aucune tension n'est fournie aux moteurs. Quand l'ordre de démarrage est lancé, le commutateur passe à la position 1, qui insère plusieurs résistances en série avec les quatre moteurs en plus de les relier en série. Ainsi, ceux-ci sont désormais alimentés à une tension maximale de 180 volts chacun et le courant qu'ils consomment est limité par les résistances. Par la suite, le commutateur retire les résistances de puissance une à une en les court-circuitant et les moteurs consomment de plus en plus de courant.
Lors de la transition de la position 15 à la position 16, le commutateur retire le lien série entre les deux groupes de moteurs et ceux-ci sont désormais alimentés à leur tension nominale. L'augmentation soudaine de la tension d'alimentation des moteurs double le courant qu'ils consomment. Pour éviter de surcharger les équipements de voie, la motrice de tête de la rame procède tout d'abord à la transition entre le raccordement série et parallèle, puis transmet l'ordre à la deuxième motrice environ 20 millisecondes plus tard. À son tour, la deuxième motrice transmet l'ordre à la troisième et ainsi de suite.
De la position 16 à la position 25, d'autres résistances sont ajoutées et retirées du circuit. Finalement, à la position 25, la pleine tension est appliquée sur les moteurs et la rame a terminé la séquence de démarrage. Celle-ci dure en moyenne 10 secondes. Lorsqu'on prend place dans une motrice, on peut entendre le claquement régulier du commutateur RX pendant le démarrage et pendant le freinage, quand il se remet en position initiale pour le prochain départ.
On manque d'air à l'ouverture
Quand les montréalais découvrent leur métro à l'ouverture officielle, le 14 octobre 1966, les trains, qui ont été peints en bleu et en blanc d'après une décision de Jacques Guillon, l'architecte industriel à l'origine du logo du métro, font sensation. On en vante volontiers le confort et la rapidité, et les stations voient défiler sans interruption des usagers fébriles pendant les premières journées d'exploitation.
À l'été 1967, moins d'un an après l'ouverture, la ventilation sous-dimensionnée des voitures prévue par les ingénieurs français commence à montrer ses faiblesses. Le niveau de confort des passagers chute considérablement quand arrivent les premières canicules.
Finalement, l'impensable survient en Juillet : incommodé par la chaleur accablante dans sa loge, un opérateur de la ligne 4 - Jaune s'évanouit avant d'avoir immobilisé son train et celui-ci percute le mur situé au fond de l'arrière-gare Berri. Heureusement, personne n'est blessé dans cet incident, qui démontre l'urgence de réviser la ventilation des voitures.
Pendant l'hiver suivant, on change les ventilateurs des MR-63 pour un modèle plus puissant, qui a l'inconvénient de dépasser du sommet des voitures. Ces nouveaux ventilateurs surdimensionnés exigent que la passerelle qui surplombe les quais de la station Place-des-Arts soit modifiée, car elle s'avère trop basse pour permettre aux MR-63 de passer dessous en toute sécurité.
Pour s'assurer du confort de l'opérateur, on retire un des sièges situés contre le mur de la loge de conduite et on le remplace par un climatiseur. Finalement, on retire les vitres des portes inter-communicantes situées entre les voitures et on les remplace par des grillages afin de faciliter la circulation d'air.

Remise à neuf après 25 ans de loyaux services
25 ans ont passé depuis la mise en service. Deux modèles de trains se côtoient désormais dans le réseau du métro : les MR-73, plus récents, et les vieux MR-63. Afin de prolonger la vie utile de ces derniers, on décide de lancer un ambitieux programme afin de les remettre à neuf.
La compagnie AMF remporte le contrat et exécute les travaux dans son atelier du quartier Pointe-St-Charles, à Montréal.
La fin de vie des MR-63
Même si les MR-63 parcourent une distance moyenne d'environ 200 000 kilomètres avant de tomber en panne, un taux reconnu comme un des meilleurs au monde, leur âge se fait sentir. Leur suspension vieillissante réduit le confort des passagers et les pièces de remplacement sont de plus en plus difficiles à trouver.
Pour réussir à entretenir sa vieille flotte de voitures, la STM fait preuve de créativité. Ainsi, le contrat de fabrication des pare-brises uniques des MR-63 a été accordé à un fournisseur québécois quand le manufacturier original a cessé de les produire.
En ce qui concerne les trois éléments du train Jeumont, ces motrices uniques qui, rappelons-le, sont les seuls MR-63 à posséder un démarreur à hacheur de courant, les pièces de remplacement ne se trouvent plus. Ainsi, au lieu de remettre en service les trois voitures de l'élément 40, pour lesquelles on manquait de pièces, la STM a plutôt décidé d'y prélever les pièces requises pour permettre aux deux autres éléments, le 41 et le 42, de continuer à rouler. On a d'ailleurs pu voir récemment la carcasse dépouillée de la motrice 81-579 de cet élément voué à la casse en pleine rue, lors du festival Juste pour Rire, transformée en crémerie.
Même avec toute la créativité dont sait faire preuve le compétent personnel d'entretien de la STM, les MR-63 devront être remplacés d'ici quelques années sous peine de voir décroître exponentiellement leur légendaire fiabilité. Ainsi, après un processus houleux qui s'est rendu devant les tribunaux, l'appel d'offres pour le remplacement des MR-63 s'est terminé en 2008. Un consortium formé de la compagnie québécoise Bombardier et de la française Alstom réalisera vraisemblablement les nouvelles voitures pour un prix de 4 millions de dollars l'unité.
Qu'adviendra-t'il des MR-63 ?
Quand les nouveaux trains remplaceront progressivement les MR-63, vers 2013, ceux-ci seront vraisemblablement envoyés à la casse. Cependant, le musée ferroviaire de Saint-Constant, sur la rive sud de Montréal, a manifesté son intérêt de récupérer un élément complet pour l'exposer aux côtés des autres pièces de leur collection, dont d'anciens tramways montréalais.
Pour ma part, je trouve que l'idée de transformer des anciennes voitures de métro en installations spéciales (comme la Station Chantilly) pourrait permettre de conserver certaines voitures.
Cependant, personne ne s'est encore manifesté pour mettre un tel projet en branle. En effet, je présume que déplacer une voiture de métro d'un poids de 27 tonnes d'un festival à l'autre s'avèrerait trop compliqué pour être économiquement viable. Dommage...
